mardi 23 décembre 2014

Donner du sens


J'ai découvert dans le livre de Jean-Pierre CAMBEFORT intitulé « Enfances et familles à La Réunion » (L'Harmattan mars 2002) de nombreuses clefs de compréhension de l'organisation sociale en place dans cette ile.

Je vous en propose quelques extraits qui dans un premier temps analysent le fonctionnement de l'esclavage et ses conséquences :
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L'esclavage des populations représente bien plus qu'un système économique. Par le déracinement définitif des sources culturelles ce système à entrainé :

  • La destruction de l'ancestralité et des mémoires culturelles d'origine (lignage, traditions)
  • L'atteinte à la filiation par la suppression des patronymes originels et leur remplacement par des noms d'emprunt ; ceci s'est produit à deux reprises : au moment de l'esclavage lors de l'attribution d'un nom qui marquait l'appartenance au maitre ; après l'abolition ensuite lorsque des patronymes d'emprunt furent attribués à nouveaux aux affranchis selon le bon vouloir et la volonté stigmatisante de l'administration coloniale. ;
  • la destruction des langues d'origine, passées définitivement dans l'oubli au moment de la mise en service dans les plantations ;
  • La subordination des populations importées, puis métissées (créoles) au pouvoir colonial dans une société fondée sur des rapports de force et de soumission.


Ces phénomènes engendrèrent plusieurs blessures symboliques ayant des conséquences éducatives importantes.

Suite à la destruction de l'ancestralité, le pouvoir colonial a immédiatement substitué aux références culturelles traditionnelles l'ensemble des valeurs civiles religieuses occidentales (particulièrement importantes dans leur assimilation au niveau de la structure familiale) . La religion catholique fut imposée comme ciment religieux des communautés en présence, chapeautant officiellement la cohabitation de plusieurs cultes et se surimposant aux religions populaires, malgré l'emprise de ces dernières dans les consciences et la continuité des pratiques , le plus souvent dans la clandestinité.

L'atteinte à la filiation a entamé gravement la fonction symbolique paternelle, l'image du père et ce qu'il représente par rapport à la mère dans ses relations éducatives aux enfants. Cette mutilation symbolique a entrainé la sur importance du rôle et de l'image de la mère, phénomène qui provoque d'importants déséquilibres dans la vie familiale. Des milliers de famille ont endossé une identité patronymique d'emprunt, le plus souvent construite comme des sobriquets destinés, après l'abolition, à stigmatiser les descendants d'affranchis. Les patronymes d'emprunt et la méconnaissance du lignage chez les descendants d'esclaves, induisant des doutes sur la filiation, notamment celle du père, ont déstabilisé des générations d'enfants dans leur identité.

La destruction des langues d'origine a entrainé l'obligation d'adopter le créole, langue « criée » (étymologiquement) dans la colonie et langue de soumission aux commandeurs, contremaitres de la plantation, pour communiquer avec les représentants du pouvoir. A travers le créole se véhiculeront ensuite, et entre autre significations, tous les systèmes de représentations sociales du sens commun, fondées sur les rapports de domination (dictons, proverbes, maximes etc)
menu en créole

Le système économique et politique esclavagiste a imposé aux populations importées les valeurs d'une société fondée sur les rapports de force et de domination, d'où étaient bannis tous esprit critique,toute velléité de résistance, tout effort dialectique.

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Il me paraît d'autant plus pertinent de citer cette analyse que l'esclavage moderne existe et a indubitablement les mêmes ressorts et les mêmes conséquences.

Selon un rapport publié en novembre 2014 par la Walk Free Foundation — qui lutte contre toutes les formes d'esclavage moderne —, près de 30 millions de personnes dans le monde vivent dans des conditions d'asservissement. Les chiffres cités sont à prendre avec précaution car ils émanent d'une fondation américaine qui n'explicite pas ses méthodes d'évaluation et elle ne cite pas les pays du golf pourtant certainement concernés !

En Mauritanie, 4% de la population serait touchée, soit la plus forte proportion au monde. L'esclavage est enraciné dans la société mauritanienne, souligne le rapport, expliquant que les «Maures noirs», descendants de Noirs asservis par les Arabes berbères arrivés en Mauritanie au XIe siècle, continuent de servir de génération en génération les «Maures blancs». «Le statut d'esclave est héréditaire», constate la Fondation.

Enfin selon un rapport d'amnesty international depuis le mois d'août, 2014 les djihadistes de l'Etat islamique (EI) ont enlevé des centaines, voire des milliers de femmes et de jeunes filles dans la région de Sinjar (nord de l'Irak) afin de les réduire en esclavage.

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