mercredi 24 décembre 2014

Noël à La Réunion



Baie de Saint Paul en venant de Saint Gilles


Nous sommes en plein été. Le thermomètre avoisine en journée les 30°. On cherche le fraicheur en allant vers les hauts. La mer renvoie une lumière éclatante alors que en fin de journée les hauts se couvrent de nuages effilochés poussés par les alizées. La chaussée royale à Saint Paul est quasi vide. Les palmiers agitent leurs feuillage dans le vent.

Saint Paul-La chaussée Royale la veille de Noël


C'est le moment où la nature est exubérante. Les bougainvilliers explosent de couleurs à chaque angle de rue. Plus majestueux les flamboyants se parent de multiples fleurs rouges au long des routes et des chemins.
Les flamboyants route de La Plaine


Les discrètes orchidées soigneusement soignées sur des balcons ombragés se parent de couleurs délicates.


De multiples vendeurs s'installent au bord des voies de circulation pour offrir de succulents litchi et des mangues. Les litchi sont de petits fruits recouverts d'une peau râpeuse d'une beau rouge prometteur d'une chair blanche délicieusement sucrée.
marchand de Litchi


Les réunionnais préparent le repas qui sera pris après la messe de minuit. Ce sera souvent un carry au fumet délicieux . Le cari se compose au départ d'une sauce à base de tomates , ail et oignons dans laquelle on fait cuire dinde, coq, bichique, thon espadon etc. Le plat est servi accompagné de riz , des grains c'est dire des légumes secs en sauce, des lentilles et un petit ravier contenant une sauce pimentée.

Les familles et les amis se regroupent. Ils patientent en écoutant parfois assez fort des chants de noël sur des rythmes de maloya. L’apéritif sera sans nul doute un rhum « arrangé » selon des secrets familiaux .

En attendant les enfants font partir quelques pétards ou des feux d'artifice. Mais ce sera au jour de l'an que l'ile s'embrasera sous les multiples explosions colorées.
marchand de feux d'artifices


Les églises s’apprêtent à recevoir de très nombreux fidèles et sont intérieurement décorées de fleurs coupées.
Église de Bois de Nèfles. Elle fut bénie le 18 février 1848 année de l'abolition de l'esclavage et est depuis présentée comme un mémorial de l'abolition de l'esclavage.


mardi 23 décembre 2014

Donner du sens


J'ai découvert dans le livre de Jean-Pierre CAMBEFORT intitulé « Enfances et familles à La Réunion » (L'Harmattan mars 2002) de nombreuses clefs de compréhension de l'organisation sociale en place dans cette ile.

Je vous en propose quelques extraits qui dans un premier temps analysent le fonctionnement de l'esclavage et ses conséquences :
/.../

L'esclavage des populations représente bien plus qu'un système économique. Par le déracinement définitif des sources culturelles ce système à entrainé :

  • La destruction de l'ancestralité et des mémoires culturelles d'origine (lignage, traditions)
  • L'atteinte à la filiation par la suppression des patronymes originels et leur remplacement par des noms d'emprunt ; ceci s'est produit à deux reprises : au moment de l'esclavage lors de l'attribution d'un nom qui marquait l'appartenance au maitre ; après l'abolition ensuite lorsque des patronymes d'emprunt furent attribués à nouveaux aux affranchis selon le bon vouloir et la volonté stigmatisante de l'administration coloniale. ;
  • la destruction des langues d'origine, passées définitivement dans l'oubli au moment de la mise en service dans les plantations ;
  • La subordination des populations importées, puis métissées (créoles) au pouvoir colonial dans une société fondée sur des rapports de force et de soumission.


Ces phénomènes engendrèrent plusieurs blessures symboliques ayant des conséquences éducatives importantes.

Suite à la destruction de l'ancestralité, le pouvoir colonial a immédiatement substitué aux références culturelles traditionnelles l'ensemble des valeurs civiles religieuses occidentales (particulièrement importantes dans leur assimilation au niveau de la structure familiale) . La religion catholique fut imposée comme ciment religieux des communautés en présence, chapeautant officiellement la cohabitation de plusieurs cultes et se surimposant aux religions populaires, malgré l'emprise de ces dernières dans les consciences et la continuité des pratiques , le plus souvent dans la clandestinité.

L'atteinte à la filiation a entamé gravement la fonction symbolique paternelle, l'image du père et ce qu'il représente par rapport à la mère dans ses relations éducatives aux enfants. Cette mutilation symbolique a entrainé la sur importance du rôle et de l'image de la mère, phénomène qui provoque d'importants déséquilibres dans la vie familiale. Des milliers de famille ont endossé une identité patronymique d'emprunt, le plus souvent construite comme des sobriquets destinés, après l'abolition, à stigmatiser les descendants d'affranchis. Les patronymes d'emprunt et la méconnaissance du lignage chez les descendants d'esclaves, induisant des doutes sur la filiation, notamment celle du père, ont déstabilisé des générations d'enfants dans leur identité.

La destruction des langues d'origine a entrainé l'obligation d'adopter le créole, langue « criée » (étymologiquement) dans la colonie et langue de soumission aux commandeurs, contremaitres de la plantation, pour communiquer avec les représentants du pouvoir. A travers le créole se véhiculeront ensuite, et entre autre significations, tous les systèmes de représentations sociales du sens commun, fondées sur les rapports de domination (dictons, proverbes, maximes etc)
menu en créole

Le système économique et politique esclavagiste a imposé aux populations importées les valeurs d'une société fondée sur les rapports de force et de domination, d'où étaient bannis tous esprit critique,toute velléité de résistance, tout effort dialectique.

                                  .....

Il me paraît d'autant plus pertinent de citer cette analyse que l'esclavage moderne existe et a indubitablement les mêmes ressorts et les mêmes conséquences.

Selon un rapport publié en novembre 2014 par la Walk Free Foundation — qui lutte contre toutes les formes d'esclavage moderne —, près de 30 millions de personnes dans le monde vivent dans des conditions d'asservissement. Les chiffres cités sont à prendre avec précaution car ils émanent d'une fondation américaine qui n'explicite pas ses méthodes d'évaluation et elle ne cite pas les pays du golf pourtant certainement concernés !

En Mauritanie, 4% de la population serait touchée, soit la plus forte proportion au monde. L'esclavage est enraciné dans la société mauritanienne, souligne le rapport, expliquant que les «Maures noirs», descendants de Noirs asservis par les Arabes berbères arrivés en Mauritanie au XIe siècle, continuent de servir de génération en génération les «Maures blancs». «Le statut d'esclave est héréditaire», constate la Fondation.

Enfin selon un rapport d'amnesty international depuis le mois d'août, 2014 les djihadistes de l'Etat islamique (EI) ont enlevé des centaines, voire des milliers de femmes et de jeunes filles dans la région de Sinjar (nord de l'Irak) afin de les réduire en esclavage.

lundi 22 décembre 2014

L'abolition de l'esclavage




Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi d'ouvrir ce blog à la date du 20 décembre, car c'est ce jour là que se fête l'abolition de l'esclavage. Et cette date s’avère structurante dans cette ile à l'histoire complexe où se mêlent les traditions et les lois métropolitaines et un héritage culturel africain et indien.



L'histoire de cette ile remonte à l'année 1504 quand un navigateur européen, Diego Fernandez Peteira la baptise Santa Apollonia sans y avoir débarqué. Elle sera reconnue à plusieurs reprises par des navigateurs mais ce n'est qu'en juin 1642 que un équipage français débarquera dans l'actuelle baie de Saint Paul et en prendra possession au nom du roi de France, la baptisant ile Bourbon.

Puis, le 10 novembre 1663 le navire Saint Charles débarquera deux français et leurs serviteurs et esclaves, décidés à s'installer définitivement sur l'ile.

Leur initiative n'est pas étrangère a la politique d'expansion économique de Richelieu. Celui ci a signé en 1624 un traité avec les Hollandais qui reconnaît la liberté du commerce vers « les Indes occidentales et orientales », mettant ainsi fin aux incertitudes maritimes sur cette région du globe. En continuité de cette politique se créeront des compagnies qui prendront possession de sites et de ports. Les établissements les plus faciles à ouvrir et ouvrant sur de vastes territoires se créeront d'abord sur l'ile de Madagascar puis ensuite sur les iles Bourbon.

C'est en 1664 que sera créée par Colbert la compagnie des Indes orientales dotée de privilèges royaux et de monopoles. Mais à l'objectif commercial s'ajoutent des objectifs politiques délégués par la puissance publique. Il faut contrer les ambitions anglaises et hollandaises dans cette zone. La présence d'une flotte française devient un moyen d'affirmer la souveraineté. Enfin la culture et la religion voyagent avec les commerçants.

Canons place du barachois à Saint Denis

La compagnie administrera l'ile durant un siècle. Et on lui doit d'avoir emmené une grande prospérité sur l'ile en incitant les colons à procéder à des plantations de café. L’extension de ces cultures entrainera un besoin de main d’œuvre qui viendra de l'importation d'esclaves.

La condition sociale d'esclave est connue en Europe depuis le néolithique et l'antiquité. Il s'agit d'êtres humains privés par d'autres du droit de propriété sur eux-mêmes. Cette condition ne disparaitra en Europe que au haut moyen age sous la pression du christianisme mais se développera en Amérique du nord.

Dans le même temps se développait une traite négrière de différentes origines, berbères, persans, malais, chinois et principalement arabe. La traite inter africaine des royaumes sub-sahariens alimentait les marchés bordant la méditerranée. Cette traite vers l’océan Indien et la méditerranée est bien antérieure à la controverse de Valladolid, débat mené par des théologiens en 1551 qui devaient décider de la manière dont devaient se faire les conquêtes du nouveau monde, pour qu'elles se fassent avec justice et « en sécurité de conscience » !

Bien sur cela a été interprété comme un blanc seing donné à la traite qui se développera aussi bien en Atlantique que dans l'océan Indien.



En 1764 le roi rachète les Mascareignes à la Compagnie des Indes après la faillite de cette dernière. L'île entre pendant 30 ans dans une période économique très faste avec l'exportation des épices et du café.

A partir de 1789 l'ile subi une longue période d'instabilité qui reflète les vicissitudes des guerres de la révolution et de l'empire. Depuis 1792 , l'Europe est en état de guerre quasi permanent opposant la France révolutionnaire à une série de coalitions.

En 1794 l'esclavage est aboli par la convention. Le 8 avril 1794, l'île adopte le nom d'île de La Réunion à la suite de La Réunion des révolutionnaires qui ont chassé le roi Bourbon du trône.

Mais l'esclavage est implicitement rétabli lors du traité de 1802 qui restitue à la France des territoires antillais sur lesquels les anglais avaient maintenus l'esclavage. Les réticences des colons sont évidentes...D'autant plus que les plantations de café sont ravagées par des catastrophes naturelles et que les exploitants se tournent vers la canne à sucre dont les débouchés en métropole deviennent importants , et que les besoins de main d’œuvre sont récurrents.





Les anglais prennent possession de l'ile en 1809. En effet la guerre de la Cinquième Coalition est un conflit qui oppose une coalition menée par l'empire d'Autriche et le Royaume unis contre l'empire Français. Les engagements entre la France et l'Autriche, et les anglais se déroulent dans toute l’Europe centrale entre avril et juillet 1809. Et l'occupation d'une possession française dans l'océan indien en est une conséquence.

L'ile ne sera rendue à la France que par le traité de Paris du 30 mai 1814 qui ramène la France dans ses limites de 1792.

Il faudra attendre le 29 mars 1815 pour que Napoléon Ier décrète l’abolition de la traite négrière. Ce décret est pris durant  les cent jours qui se terminèrent par la bataille de Watterloo.

En 1848 l'Europe est secouée par une vague de révolutions dont les aspirations nationalistes sont une cause centrale. C'est dans ce contexte que en févier un soulèvement populaire violent met fin à la « monarchie de juillet » et met en place la seconde république. La seconde et définitive abolition officielle de l'esclavage date du 27 avril 1848, notamment grâce à l'action du député Victor Schœlcher et ses amis.

Il obtient du gouvernement provisoire la création d'une commission d'abolition de l'esclavage chargée de préparer l'émancipation. La commission tient sa première réunion le 6 mars, et le 27 avril, elle propose une série de douze décrets qui émancipent les esclaves (un article leur octroie le statut de citoyen, ils sont désormais appelés « nouveaux citoyens » ou « nouveaux libres ») et organisent l'avenir dans les colonies. Des ateliers nationaux sont établis dans les colonies ; on crée des ateliers de discipline pour la répression de la mendicité ainsi qu'une caisse d'épargne ; un décret agence l'impôt personnel, les taxes sur les tafias, vins et spiritueux ; un autre institue une fête du Travail dans les colonies ; un décret organise les hypothèques ; les commissaires généraux de la République sont créés et envoyés dans les colonies pour y appliquer les décrets ; la liberté de la presse est étendue aux colonies ; un décret précise les modalités du recrutement militaire, de l'inscription maritime, de la garde nationale (extension des dispositions ayant cours en France) ; le sort des vieillards, des infirmes et des orphelins est pris en charge ; des jurys cantonaux sont créés.

Le 27 avril a lieu la publication de l'acte d'émancipation qui sera proclamé le 20 décembre par le commissaire de la république Sarda Garriga. qui a eu l'intelligence à son arrivée sur l'ile d'expliquer aux maitres et aux esclaves leurs droits et leurs devoirs futurs.

Une loi votée le 30 avril 1849 indemnise les planteurs et les colons. Ainsi près de 248 500 esclaves sont libérés (plus de 87 000 en Guadeloupe, près de 74 450 en Martinique, plus de 62 000 à La Réunion, 12 500 en Guyane, plus de 10 000 au Sénégal d'après les demandes d'indemnisation présentées par les propriétaires.

Libérés le 20 décembre 1848 , les affranchis recevront chacun un nom (attribué par l'administration coloniale) rajouté à leur ancienne appellation d'esclave. Certains acceptent de rester auprès de leurs anciens maîtres, d'autres vagabondent dans l'île ou se réfugient dans les hauteurs de l'île à la recherche de terres libres à défricher.
L'esclavage est aboli mais l'île reste une colonie française jusqu'en 1946.

Pour pallier au manque de main d’œuvre un nouveau système est mis en place : l'engagisme. Il consiste à proposer à des travailleurs étrangers à la colonie, un contrat de travail d'une durée de 5 ans renouvelable. L'engagé est alors au service d'un engagiste généralement propriétaire terrien.
Plus de 100 000 "engagés" Malgaches, Indiens (Zarabes du nord et Malabars du sud) Chinois et Africains (Cafres) seront introduits dans la colonie par les propriétaires d'anciens esclaves pour remplacer ceux-ci sur les plantations.
Ce système prendra fin en 1937 à la faveur d'une réforme administrative impactant le service de l'immigration et l'inspection du travail.

166 ans après la publication du décret du 27 avril 1848 abolissant la traite des Noirs dans les colonies françaises, ce mot résonne toujours aussi fort.