Ce n'est pas un hasard si
j'ai choisi d'ouvrir ce blog à la date du 20 décembre, car c'est ce
jour là que se fête l'abolition de l'esclavage. Et cette date
s’avère structurante dans cette ile à l'histoire complexe où se
mêlent les traditions et les lois métropolitaines et un héritage
culturel africain et indien.
L'histoire de cette ile
remonte à l'année 1504 quand un navigateur européen, Diego
Fernandez Peteira la baptise Santa Apollonia sans y avoir débarqué.
Elle sera reconnue à plusieurs reprises par des navigateurs mais ce
n'est qu'en juin 1642 que un équipage français débarquera dans
l'actuelle baie de Saint Paul et en prendra possession au nom du roi
de France, la baptisant ile Bourbon.
Puis, le 10
novembre 1663 le navire Saint Charles débarquera deux français
et leurs serviteurs et esclaves, décidés à s'installer définitivement sur
l'ile.
Leur initiative n'est pas
étrangère a la politique d'expansion économique de Richelieu.
Celui ci a signé en 1624 un traité avec les Hollandais qui
reconnaît la liberté du commerce vers « les Indes
occidentales et orientales », mettant ainsi fin aux
incertitudes maritimes sur cette région du globe. En continuité de
cette politique se créeront des compagnies qui prendront possession
de sites et de ports. Les établissements les plus faciles à ouvrir
et ouvrant sur de vastes territoires se créeront d'abord sur l'ile
de Madagascar puis ensuite sur les iles Bourbon.
C'est en 1664 que sera
créée par Colbert la compagnie des Indes orientales dotée de
privilèges royaux et de monopoles. Mais à l'objectif commercial
s'ajoutent des objectifs politiques délégués par la puissance
publique. Il faut contrer les ambitions anglaises et hollandaises
dans cette zone. La présence d'une flotte française devient un
moyen d'affirmer la souveraineté. Enfin la culture et la religion
voyagent avec les commerçants.
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Canons place du barachois à Saint Denis |
La compagnie administrera
l'ile durant un siècle. Et on lui doit d'avoir emmené une grande
prospérité sur l'ile en incitant les colons à procéder à des
plantations de café. L’extension de ces cultures entrainera un
besoin de main d’œuvre qui viendra de l'importation d'esclaves.
La condition sociale
d'esclave est connue en Europe depuis le néolithique et l'antiquité.
Il s'agit d'êtres humains privés par d'autres du droit de propriété
sur eux-mêmes. Cette condition ne disparaitra en Europe que au haut
moyen age sous la pression du christianisme mais se développera en
Amérique du nord.
Dans le même temps se
développait une traite négrière de différentes origines,
berbères, persans, malais, chinois et principalement arabe. La traite
inter africaine des royaumes sub-sahariens alimentait les marchés
bordant la méditerranée. Cette traite vers l’océan Indien et la
méditerranée est bien antérieure à la controverse de Valladolid,
débat mené par des théologiens en 1551 qui devaient décider de la
manière dont devaient se faire les conquêtes du nouveau monde, pour
qu'elles se fassent avec justice et « en sécurité de
conscience » !
Bien sur cela a été
interprété comme un blanc seing donné à la traite qui se
développera aussi bien en Atlantique que dans l'océan Indien.
En 1764 le roi rachète
les Mascareignes à la Compagnie des Indes après la faillite de
cette dernière. L'île entre pendant 30 ans dans une période
économique très faste avec l'exportation des épices et du café.
A partir de 1789 l'ile subi une longue période d'instabilité qui reflète les
vicissitudes des guerres de la révolution et de l'empire. Depuis
1792 , l'Europe est en état de guerre quasi permanent opposant la
France révolutionnaire à une série de coalitions.
En 1794 l'esclavage est
aboli par la convention. Le 8 avril 1794, l'île adopte le nom d'île
de La Réunion à la suite de La Réunion des révolutionnaires
qui ont chassé le roi Bourbon du trône.
Mais l'esclavage est
implicitement rétabli lors du traité de 1802 qui restitue à la
France des territoires antillais sur lesquels les anglais avaient
maintenus l'esclavage. Les réticences des colons sont
évidentes...D'autant plus que les plantations de café sont ravagées
par des catastrophes naturelles et que les exploitants se tournent
vers la canne à sucre dont les débouchés en métropole deviennent
importants , et que les besoins de main d’œuvre sont récurrents.
Les anglais prennent
possession de l'ile en 1809. En effet la guerre de la Cinquième
Coalition est un conflit qui oppose une coalition menée par
l'empire d'Autriche et le Royaume unis contre l'empire Français. Les
engagements entre la France et l'Autriche, et les anglais se
déroulent dans toute l’Europe centrale entre avril et juillet
1809. Et l'occupation d'une possession française dans l'océan
indien en est une conséquence.
L'ile ne sera rendue à
la France que par le traité de Paris du 30 mai 1814 qui ramène la
France dans ses limites de 1792.
Il faudra attendre le 29 mars 1815 pour que Napoléon I
er
décrète l’abolition de la traite négrière. Ce décret est pris durant les cent
jours qui se terminèrent par la bataille de
Watterloo.
En 1848 l'Europe est
secouée par une vague de révolutions dont les aspirations
nationalistes sont une cause centrale. C'est dans ce contexte que en
févier un soulèvement populaire violent met fin à la « monarchie
de juillet » et met en place la seconde république. La seconde
et définitive abolition officielle de l'esclavage date du 27 avril
1848, notamment grâce à l'action du député
Victor
Schœlcher et ses amis.
Il obtient du
gouvernement provisoire la création d'une commission d'abolition de
l'esclavage chargée de préparer l'émancipation. La commission
tient sa première réunion le 6 mars, et le 27 avril, elle propose
une série de douze décrets qui émancipent les esclaves (un article
leur octroie le statut de citoyen, ils sont désormais appelés
« nouveaux citoyens » ou « nouveaux libres »)
et organisent l'avenir dans les colonies. Des ateliers nationaux sont
établis dans les colonies ; on crée des ateliers de discipline
pour la répression de la mendicité ainsi qu'une caisse d'épargne ;
un décret agence l'impôt personnel, les taxes sur les tafias, vins
et spiritueux ; un autre institue une fête du Travail dans les
colonies ; un décret organise les hypothèques ; les
commissaires généraux de la République sont créés et envoyés
dans les colonies pour y appliquer les décrets ; la liberté de
la presse est étendue aux colonies ; un décret précise les
modalités du recrutement militaire, de l'inscription maritime, de la
garde nationale (extension des dispositions ayant cours en France) ;
le sort des vieillards, des infirmes et des orphelins est pris en
charge ; des jurys cantonaux sont créés.
Le 27 avril a lieu la
publication de l'acte d'émancipation qui sera proclamé le 20
décembre par le commissaire de la république Sarda Garriga. qui a
eu l'intelligence à son arrivée sur l'ile d'expliquer aux maitres
et aux esclaves leurs droits et leurs devoirs futurs.
Une loi votée le 30
avril 1849 indemnise les planteurs et les colons. Ainsi près de
248 500 esclaves sont libérés (plus de 87 000 en
Guadeloupe, près de 74 450 en Martinique, plus de 62 000 à
La Réunion, 12 500 en Guyane, plus de 10 000 au Sénégal
d'après les demandes d'indemnisation présentées par les
propriétaires.
Libérés le 20 décembre 1848 , les affranchis
recevront chacun un nom (attribué par l'administration coloniale)
rajouté à leur ancienne appellation d'esclave. Certains acceptent
de rester auprès de leurs anciens maîtres, d'autres vagabondent
dans l'île ou se réfugient dans les hauteurs de l'île à la
recherche de terres libres à défricher.
L'esclavage est aboli mais l'île reste une colonie
française jusqu'en 1946.
Pour pallier au manque de main d’œuvre un
nouveau système est mis en place : l'engagisme. Il consiste à
proposer à des travailleurs étrangers à la colonie, un contrat de
travail d'une durée de 5 ans renouvelable. L'engagé est alors au
service d'un engagiste généralement propriétaire terrien.
Plus de 100 000 "engagés" Malgaches,
Indiens (Zarabes du nord et Malabars du sud) Chinois et Africains
(Cafres) seront introduits dans la colonie par les propriétaires
d'anciens esclaves pour remplacer ceux-ci sur les plantations.
Ce système prendra fin en 1937 à la faveur d'une
réforme administrative impactant le service de l'immigration et
l'inspection du travail.
166 ans après la
publication du décret du 27 avril 1848 abolissant la traite des
Noirs dans les colonies françaises, ce mot résonne toujours aussi
fort.